Il y a fort longtemps, sur le causse, prés de Martel, un soir d'orage, le vent hurlait et la pluie battait. Prés de l'âtre se trouvait un paysan qui regardait jouer ses enfants et aussi sa compagne dont les rides attestaient les années de misère et de dur labeur. Ce soir-là, au menu ils n'avaient que des châtaignes. Soudain un éclair illumina les murs sombres, et la porte s'ouvrit d'elle-même. Sur le seuil se tenait une vieille femme que soutenait un bâton. Elle demanda l'asile, en implorant de ses yeux la famille réunie.
L'homme la fit entrer en la prévenant que s'il y avait bien du feu, la chère serait bien maigre. La vieille entra et au fur et à mesure qu'elle avançait, elle grandissait et soudain, dans un éclair, se transforma en une jeune femme resplendissante.
"Tu es pauvre parmi les pauvres, mais tu es trés bon. Pour te remercier, voici des graines que tu sèmeras sous chacun de tes garrics de ton bois. Chaque hiver tu obtiendras un champignon encore inconnu, d'un parfum exquis mais d'un goût savoureux, qui fera le délice des gourmets, et tu deviendras le plus riche de tous. Prends-en soin car je ne les donne qu'à toi."
Le paysan les sema comme convenu et, l'hiver venu, alla voir sous ses garrics. Il y trouva des fruits trés étonnants, gros comme un oeuf, noir comme du charbon et dégageant une odeur jusqu'alors inconnue et délicieuse : c'était la truffe.
La prédiction s'accomplit et il devint trés riche, et sa charité s'étendit à tout le village : il n'y eut plus de pauvres dans sa contrée.
Plus tard, ses fils héritèrent bien de sa fortune mais pas de sa bonté. Ils étaient avares, égoïstes et ambitieux, et tous les villageois les détestaient. Un soir d'orage, le vent hurlait et la pluie battait. A la grille du château une vieille femme sonna et demanda la charité. En voyant une pauvresse grelottante sans dents ni cheveux, ils la chassèrent sans ménagement. Alors, en se relevant, elle leur cria que la truffe ne sera plus leur apanage. De son bâton elle toucha le château qui disparut et les châtelains qui furent changés en truies.
C'est depuis ce temps-là que l'on ramasse la truffe sur le causse de Martel et que les truies servent à la chercher, bien souvent remplacées par des chiens.
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